A l'interieur, l'espace n'est pas seulement occupé par des ordinateurs portables, mais aussi par des câbles, des circuits imprimés et de nombreux rouleaux de gros scotch. Dans les salles d'amphithéâtre se succèdent les présentations mélangeant jeux, performances, visualisations de données, installations interactives et intelligence artificielle.
Aucun des lieux de la conférence ne dispose d'un accès Wi-Fi suffisant pour les 500 participants, et l'ambiance s'en ressent : les conversations dans les escaliers étroits sont animées et les salles de présentation sont pleines à craquer d'un public ne lâchant pas des yeux les intervenants et les images qui se succèdent sur le grand écran. Il semble importer peu à Maria, l'organisatrice du festival, que l'événement ne soit pas live-tweeté ou dans les "trending topics" de la semaine.
Le ton est donné, à Resonate, on n'est pas dans le paraître mais dans l'action.
C'est le premier jour du festival et les artistes numériques sont venus se rencontrer pour partager leurs idées, imaginer des prototypes et apprendre les uns des autres lors des workshops.
On passe 3 semaines à monter des installations, puis les gens viennent et les cassent.
Douglas Edric Stanley, Professeur d'art numériques, Aix-en-Provence
Une des oeuvres référentes de ce festival est une vidéo de l’artiste japonais Daito Manabe dans laquelle il fait danser son visage sur une musique. Dans ses prototypes, il se sert de prothèses myoélectriques, utilisées habituellement lors d’examens médicaux pour tester la réactivité des muscles, posées sur son visage. Il a créé un programme qui envoie un stimuli électrique à chaque note de musique, faisant ainsi bouger les muscles de son visage en rythme.
Le projet ultime de Manabe est de créer un objet qui transmettrait automatiquement les expressions d’un visage à un autre.
Performance de Daito Manabe "Face Visualizer"
Les avancées technologiques et le renouvellement constant des appareils électroniques font évoluer la façon dont les artistes numériques travaillent. Leurs oeuvres reflètent souvent les changements sociaux que ces nouveautés provoquent.
Mais la course à la technologie n’est pas ici le but ultime, les Google Glasses sont par exemple ostensiblement absentes du festival Resonate. Les intervenants détestant la manière dont elles portent atteinte à la vie privée.
La majorité des artistes numériques sont fascinés par les données. Pour eux, elle deviennent de la matière brute. Comme la peinture pour un artiste traditionnel.
Certains vont même jusqu’à enregistrer méticuleusement tous les pas qu’ils font grâce à des applications sur leur téléphone. Le graphiste Nicholas Felton crée des visualisations de sa routine quotidienne et publie chaque année un rapport personnel retraçant sa vie sous forme de graphiques.
Si Resonate était un festival de musique, Aaron Koblin en serait la tête d’affiche. Les organisateurs lui ont réservé le dernier créneau. Sa présentation à la conférence TED a été visionnée plus d’un million de fois et son travail a été montré au MoMa de New-York ainsi qu’au centre Pompidou. Koblin travaille chez Google, où il dirige l’équipe des arts numériques. Dans son temps libre, il crée des oeuvres et des visualisations de données en détournant des outils créés par les géants de la technologie, comme le Mechanical Turk d’Amazon. Cette plateforme permet d’externaliser des tâches simples que les humains effectuent plus facilement que des ordinateurs (décrire une photo, par exemple).
Aaron Koblin a monté un projet nommé The Sheep Market (le marché aux moutons). Il a collecté des centaines de dessins de moutons réalisés par des «travailleurs» anonymes rémunérés 0,02 dollar pour “dessiner un mouton de profil regardant vers la gauche”.
Il voulait ainsi montrer le pouvoir de la communauté en prenant un symbole : le mouton a été le premier animal cloné, et la référence au Petit Prince ne nous échappe pas. Sur les milliers de participants, un seul ne s’est pas laisser mener par le berger numérique et lui a demandé, en écrivant avec sa souris : “Pourquoi ? Pourquoi fais-tu ça ?”